mardi 3 septembre 2019

René Lalique


                       RENÉ  LALIQUE 


 


   LA  VIRTUOSITÉ, LA GRÂCE, l'IMAGINATION 
  D'UN  PUR  GÉNIE 





        "Il eut le don de faire passer sur le monde 

         un frisson de beauté nouvelle."
                     Henri Clouzot

   

   J'aimerais vous faire découvrir, ou redécouvrir, un homme dont l'inspiration poétique, l'audace, l'inventivité, allaient révolutionner l'art de la joaillerie, dans ces années étourdissantes du tournant du 20ème siècle.



   La Belle Epoque, derniers instants d'innocence relative avant le cataclysme de la première guerre mondiale; effervescence et créativité décuplée d'un monde résolument tourné vers l'ère moderne...

 

   Lorsque Lalique commença à dessiner, puis à réaliser ses premiers bijoux, vers la fin du 19 ème siècle, la joaillerie était lourde d'opulence et de pierres précieuses. 


   Seules les élites sociales pouvaient se permettre des joyaux abondamment sertis de diamants spectaculaires. Le dessin et la facture de ces pièces, néanmoins d'une grande beauté, restaient très classiques.
   

    René Lalique allait ouvrir une nouvelle voie.

   Après trois années de travail intense et de sacrifices, de 1892 à 1895, il était prêt. Son talent sensationnel s'imposa rapidement à ses pairs et au grand public.
Nul ne pût alors ignorer que ces bijoux prodigieux étaient bel et bien l'œuvre d'un génie.

   Sa participation à l'Exposition de 1900 fut un triomphe!



   Il fit de ses bijoux des pièces remplies de mystère, au dessin sublime, osant mélanger des matières très nobles et d'autres plus ordinaires et inédites, comme la corne, et mariant des thématiques chères à ce qui allait devenir 
L'ART NOUVEAU.









   Des courbes sinueuses, voluptueuses, des éléments de la nature, fleurs volontiers exotiques, ou toutes simples, mais aussi des insectes, des animaux plus ambigus comme le serpent, la chauve-souris, des représentations sensuelles de la femme, souveraine, idéalisée, pâle et dénudée le plus souvent, semant autour d'elle les boucles de sa chevelure volumineuse, des motifs gothiques et moyen-âgeux, tout un monde subtil, parfois dérangeant, trouble, secret et plein d'extase...


   

   Je vous invite dans cet univers fascinant, un aspect de Lalique somme toute assez peu connu.



   Car avant de devenir cet illustre poète et génie du verre, le grand homme fut un exceptionnel créateur de bijoux.

 

   Je me suis longuement plongé dans ces miraculeux chefs-d'œuvre. Leur puissance évocatrice, leur perfection technique et formelle, la beauté des matières, la liberté absolue qui préside à leur réalisation, me laissent sans voix.

 

   Je voudrais tenter de décrire avec mes mots les plus enthousiastes toute la beauté que l'on y trouve, en m'aidant de nombreuses photos. 

    Celles-ci sont extraites de trois ouvrages splendides:

 


• RENÉ LALIQUE 
Musée des Arts décoratifs 
Réunion des musées nationaux
Le Seuil
 

• René Lalique 
Bijoux d'exception 1890 - 1912
SKIRA   Musée du Luxembourg


• LALIQUE PAR LALIQUE
Marc et Marie Claude Lalique
(Fils et petite fille de René Lalique)
EDIPOP Lausanne

  

• UN DESSINATEUR ACCOMPLI

 

   Le bijou, c'est d'abord un dessin.



   En effet, pour pouvoir fabriquer un bijou, il est nécessaire de se baser sur un schéma le plus complet, le plus détaillé possible du futur objet. On utilise traditionnellement l'encre, la gouache ou l'aquarelle pour lui donner forme, le mettre en couleurs.

  


   Les différents artisans prendront appui sur ce modèle en deux dimensions pour procéder aux nombreuses étapes de la confection. Le dessin est évidemment une création de l'artiste-bijoutier qui est à la tête de son équipe. Il devra suivre et superviser chaque étape du processus.

  


   Les dessins préparatoires de Lalique sont tout simplement des traits de génie. Au sens propre comme au sens figuré!


   Son art du dessin m'a transporté...

   


   La légèreté du trait, la fantaisie qui naît à chaque instant.



   La grâce miraculeuse, cette apparente facilité
   d'exécution, qui fait qu'on a le sentiment d'une 
   improvisation totale.
  


   La complexité, cependant, des motifs. La nature 
   est retranscrite avec un réalisme saisissant, mais qui 
   se trouve être une interprétation géniale de l'artiste.

   

L'équilibre fabuleux du dessin, la symétrie souvent  brisée
avec un immense talent, pour que jaillisse un effet de surprise, sans que l'harmonie n'en soit rompue pour autant.

Le naturel de chaque fleur, chaque insecte, chaque matière vivante, vibrante, qui fait qu'on ressent la fraîcheur, la spontanéité de tout cela. 

On croirait presque que la libellule ou le papillon vont prendre vie soudain, et s'envoler dans un ciel ivre de printemps...

 

        "Le regard passionné qu'il porte sur la flore et sur les insectes des prés et des champs, renvoie aux premières années de sa vie quand il court la campagne champenoise en compagnie de son grand-père à l'occasion de vacances passées dans le pays natal de sa mère.




         On l'imagine, à plat ventre dans les hautes herbes, suivant la lourde progression de coléoptères, surprenant des groupes de guêpes ou d'abeilles qui se délectent du nectar de fleurs sauvages, ramassant des feuilles flétries, suivant du doigt leurs nervures saillantes, guettant les jeux du soleil à travers les branches d'arbres..."

 




   L'artiste montre des dispositions exceptionnelles pour le dessin, et ce dès le plus jeune âge. 

  


  On peut penser que l'enfant, captant la magie campagnarde et ses délicieuses surprises , partout dans les bois, les prés, le long des fossés, tout ce monde grouillant et bourdonnant, cet enfant-là était déjà en train de "préparer le terrain" à celui qu'il allait devenir par la suite: l'un des plus grands génies des arts décoratifs, dont il fut le premier, réellement, à faire un art à part entière.

 




   Le trait de Lalique, clair, rapide et puissant, léger, agile, expressif, toujours animé de la plus grande liberté, à la fois simple, évident, mais en même temps foisonnant de détails et de nuances, son trait génial a été une découverte pour moi. 


   Je suis touché par ces dessins, dont l'excellence est restée à mon sens inégalée.





• SENSUELLE, DIAPHANE, TENTATRICE:


  LA FEMME SELON LALIQUE

     

   Grand thème de l'Art Nouveau, la femme, dessinée et "mise en joyaux" par Lalique, est désirable, secrète et fuyante.
  


   Ce n'est pas une femme généreuse, joyeuse et offerte.

   Elle est volontiers pâle, mince, la chevelure toute en courbes et en abondance, quelque peu maladive, un peu semblable à une ombre silencieuse, un spectre...




   Elle est un poème qu'on lit en secret, qu'on efface et qu'on oublie, un drame silencieux, le souvenir d'un rêve qui se dérobe...
  


   On la désire également en secret, on la contemple à la dérobée, on lui voue un culte, on lui bâtit des châteaux dans une forêt profonde.

     

    Lalique était un homme passionné, il brûlait d'un feu qui consume et ne laisse pas en paix, comme on peut le deviner sur cet extraordinaire portrait. 

   Merveilleux regard à la fois fiévreux et angoissé, parcouru d'une urgence à vivre, à créer, visage tendu où transparaît la bonté tout autant que l'intransigeance. 

       

   Il était amoureux des femmes par passion, comme on s'éprend d'un nouvel univers en floraison permanente.

   Un peu comme Picasso, mais sans la séduction quelque peu agressive, il trouva dans les femmes de sa vie une puissante source d'inspiration. 

   Ce n'était pas un froid collectionneur, c'était un
amoureux de la femme, du féminin, un homme qui écoute son cœur éclater, même s'il doit pour cela faire souffrir
La femme, l'amante, et bousculer les conventions sociales.

   Il aimait comme le grand artiste qu'il était: sans demi-mesure.

    

  


            "René Lalique partage avec l'époque l'obsession de la femme. Partout son corps s'étire, s'enroule ou se coule, masse plastique indéfiniment malléable et docile, tour à tour languissante caresse ou chaîne fatale. 

   Par ses formes, par sa chevelure, la femme inspire les lignes, et ces lignes gardent la nostalgie des courbes dont elles sont nées.

  


        Son masque pensif donne aux bijoux leur profondeur d'âme. Il n'est pas en 1900 de broche, de pendentif, d'épingle, de fermoir, de boucle, de breloque, de châtelaine, de peignes précieux où le visage de la femme n'apparaisse, tantôt comme motif central, tantôt comme cadre complaisant."

           Claude Quigner
       "Femmes et machines de 1900"



      




   Vous pouvez admirer sur ces audacieux bijoux la puissance évocatrice de l'art de Lalique. Un langage totalement nouveau pour l'époque, révolutionnaire même.

  


   "On n'avait jamais vu ça!"


   



• LE VIRTUOSE DES MATIÈRES

   






  LE CRÉATEUR D'AVANT-GARDE

 

    Lalique possédait son art comme personne.




    Non content de maîtriser toutes les techniques existantes de sa discipline, il en perfectionna certaines et en inventa d'autres, totalement inédites. Des techniques subtiles d'émail cloisonné, des procédés sophistiqués de réduction d'objets...

  







"Outre sa prodigieuse imagination et sa formidable créativité artistique, Lalique dominait à la perfection le maniement des techniques et des matériaux."

   


Il était à la fois dessinateur, orfèvre, sculpteur, émailleur, graveur, peintre, aquarelliste...


Sans oublier bien sûr le travail du verre, qui prit peu à peu une place prépondérante dans son travail. 




La maîtrise souveraine du verre et du cristal  allait l'emmener jusqu'aux plus hauts sommets, à la reconnaissance mondiale...

... et éclipsa, injustement à mon sens, le fantastique joaillier des débuts!...

    






                    "Bouleversant toutes les traditions, il réhabilita les modestes pierres jusque là dédaignées, corindons, onyx et sardoines, jades, agates et cornalines, jaspes, coraux, opales."

            "La valeur intrinsèque des pierres n'est pas essentielle pour Lalique. Lorsqu'il délaisse la joaillerie, il recherche des pierres de couleur, précieuses ou semi-précieuses, en harmonie avec ses émaux."

   





   Lalique savait utiliser l'émail comme personne. Avec conviction et habileté, il marie les couleurs de cette splendide et ancienne technique avec celles de ses pierres fétiches: saphirs, aigue-marine, fins diamants souvent utilisés assez discrètement pour souligner des éléments, pierres de lune, et surtout l'opale somptueuse, sa préférée, qu'il mettait en valeur de manière remarquable. 

  





    Comme cette opale aux reflets changeants, évanescente et laiteuse, miroitante et insaisissable, lui sied bien! Elle se pare de mystère et d'élégance, elle est traitée comme une reine splendide au sein des compositions, qui rivalisent de hardiesse.

    




           "Les bijoux de Lalique possèdent une dimension architecturale, une vision d'ensemble qui distingue les œuvres d'art des objets d'art décoratif. C'est bien la conception d'un "art total".






     Émile Gallé, de 14 ans son aîné et splendide artiste lui aussi, parle ainsi du talent de Lalique:







           "Il apportait à la joaillerie un renouvellement, et oserais-je dire la préparation au définitif  bijou moderne."

    


   Autre innovation, très osée pour l'époque: Lalique introduit des matières inédites comme la corne. Elle n'est pas considérée comme une matière noble, pourtant il va la sculpter et la peindre...

  


   D'extraordinaires pièces naissent ainsi, notamment des peignes. 
   


   Vers 1905-1910, c'est l'apogée de ce travail du bijou.
Les pièces sont éblouissantes!

   



• DEUX PERSONNAGES DÉTERMINANTS 
  DANS LA TRAJECTOIRE DU GRAND HOMME


       

    Comme souvent dans la vie des grands hommes autant que pour le commun des mortels, se produisent des rencontres qui influent grandement sur une destinée.


   Pour Lalique ce furent deux personnages illustres, et d'abord l'immense comédienne Sarah Bernhardt.

    Femme flamboyante, actrice de génie qui marqua son époque.

     

    Lalique conçut de nombreux joyaux pour celle qui devint son amie, et en particulier de somptueuses parures pour orner ses costumes de scène. 

   Il fut hautement inspiré par cette tragédienne à la personnalité rayonnante, qui sera l'une des rares femmes à vraiment porter à la ville ses créations.


    Seules des femmes de caractère, au tempérament fantaisiste et singulier, avaient "le cran" d'arborer des pièces étranges, ensorcelantes, en rupture totale avec l'esthétique "décorative" de la joaillerie telle qu'on la concevait jusque là. 

    




   C'est le paradoxe de ces bijoux sublimes: ils furent très peu portés. Leur singularité, leur originalité absolue, en firent des objets d'art trouvant leur vraie place dans les musées les plus prestigieux...   

   Ce désintérêt relatif, du fait de leur esthétique profondément inclassable et géniale, se transforma rapidement en une véritable et légitime consécration!

   




    Un homme élégant, raffiné, devenu l'un de ses plus  grands amis, offrit à Lalique une opportunité inestimable pour un artiste de sa trempe.

    Calouste Gulbenkian, homme de goût et de culture, grand collectionneur d'art, acheta au fil des ans plus de 175 pièces, bijoux, verreries, objets et dessins à son ami René Lalique...

    Quoi de plus exaltant pour un artiste que de voir ses œuvres ainsi reconnues et rétribuées! Quel magnifique encouragement à produire toujours de plus belles pièces!

       

   L'amitié entre les deux hommes dura un demi-siècle.

   


   Toutes ces merveilles sont encore visibles aujourd'hui 
dans la ville de Lisbonne, au musée Calouste 
Gulbenkian.

    

   Gulbenkian s'était exprimé ainsi à propos de son ami:


           "C'est l'une des figures les plus marquantes de l'histoire de l'art. L'emprunte très personnelle qui marque ses créations, l'exquise finesse de son imagination lui vaudront l'admiration des élites futures."





• QUELQUES OEUVRES



Diadème 
(ivoire, corne et une topaze)
Vers 1897-1900

La complexité symétrique de cette fantaisie d'orchidée,
aux courbes et aux contre-courbes, tel un chant polyphonique, des creux et des lignes évoquant secrètement les intimités féminines: une pièce magistrale, royale!

...



Peigne aux feuilles et fleurs de muguet 
(corne, or, émaux)
1900

L'élégance et la légèreté de ces brins de muguet, leur simplicité néanmoins subtile, créant une harmonie ... miraculeuse!

....



Broche
Visage entouré de feuillages.
(émaux sur or, deux perles noires sur la coiffure,
perle baroque en pendeloque)

Un personnage de fantaisie, les yeux clos, tel un elfe
des bois, et ces merveilleuses perles, douces et nuancées, intégrées au bijou avec délicatesse.

...




Pendentif "Femmes aux bulles de savon"
(or émaillé et opales)
Dessin original 

Du dessin à la réalisation, les touchantes notations de la main de Lalique pour guider le travail de ses collaborateurs.
Des bulles dansantes et légères qui deviennent des opales, l'inspiration géniale, puis la mise en œuvre à travers la matière, avec une virtuosité qui laisse rêveur...

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Toujours annoté par René Lalique, ce dessin si délicat, cette femme qui s'est muée en papillon.
Émotion simple et pure. Si peu de choses, tout un art.

...



Un projet de peigne: deux serpents se faisant face et cette sphère entre leurs gueules menaçantes, la perle de la discorde...
La puissance incroyable de cette confrontation, entre violence et fascination...

...





Le verre, tout en transparences et en rêves opaques, le travail extraordinaire de Lalique pour figurer ces femmes dans leur danse extatique.

...



Deux pendulettes qui touchent au sublime.
L'art inouï que possède Lalique à imprimer plus que le mouvement, la danse, ici de ces femmes à la chevelure fantastique, là de ces hirondelles aux ailes superbement dessinées...
Des chef-d'oeuvres dont il est impossible de se lasser!




• MILLE PETITS MIRACLES...

    






   Durant plusieurs semaines, je me suis imprégné de la beauté fascinante de ces bijoux, de ces dessins...



    





  J'espère avoir pu retraduire un peu de mon émotion face à cette perfection, qui n'est autre que le reflet de la nature si belle autour de nous.

   




   Lalique m'a ébloui, m'a donné de l'espoir, de la joie.
   Il m'a consolé de tout.

   





   J'ai trouvé ce texte superbe de Pol Neveu, autre ami de Lalique. Il conclura l'article:

   








             "Il a aimé les papillons et les bêtes à bon Dieu, les gros bourdons velus qui bruissent au printemps autour des festons violets des glycines et les gros coléoptères bruns qui s'enfuient gauchement à l'automne dans les flaques transparentes où verdissent les mousses. Il semble marquer pourtant une préférence pour la guêpe et la libellule. Au croissant en cristal de roche d'une épingle de robe, ivres et gavées, les guêpes se sont enroulées; leurs corps élégants de princesses ailées se sont confondus et l'arrangement de cet essaim jaune et noir est un délice pour l'œil: les couleurs éclatent traduites en émaux opaques, les anneaux semblent onduler, et les antennes vibrer, inquiètes."

    






Jérémie, le 30 août 2019