Ô COULEURS, Ô MES AMOURS!
"Ô ami, ne va pas au jardin des fleurs, le jardin des fleurs est en toi."
Kabir
• ROUGE
Il m'a touché, m'a saisi, m'a emporté!
Le rouge m'a envahi, comme une colère
Irrépressible, un feu, un volcan!
Son brasier brûle ma patience et ma paix:
Il fait de moi un fauve!
Le rouge s'est étalé
Dans les champs de garance.
Il parle d'amour aux coquelicots,
Et d'ardeur au couchant
Qui ourle le ciel, un soir.
Le rouge nous cueille à vingt ans,
Et nous laisse à quarante.
Il enflamme nos corps
Et rougit nos paupières.
Le rouge est un désert qui crie,
Une âme qui se consume.
J'ai trop vu de rouges, hélas!
Je voudrais tant le repos...
Rouges tulipes,
Fraîches roses,
Vous m'avez susurré des choses douces,
J'ai cru à vos caresses.
Vous m'avez chantonné des refrains,
Vous m'avez fait croire au bonheur.
Mais le temps passe, hélas,
Et le rouge fait battre le sang
À mes tempes:
Connaîtrai-je un peu de sagesse?
• BLEU
Tu viens à temps, enfin,
Toi le bleu que je n'ai su oublier.
C'est si doux de sentir ta brise
Qui bat la campagne,
Et n'oublie pas d'envelopper
Mon visage.
Je n'ai connu tes saisons
Que bien trop tard.
Naguère, j'étais instable,
Je ne voulais vivre
Que de passion, de joies à l'unisson.
Je voulais m'enivrer de pourpre
Et d'écarlate.
Le bleu m'ennuyait.
Je recherchais l'extase.
Papillons posés sur les campanules,
Délicats myosotis,
Que vous êtes beaux!
Les bleuets me charment,
Les hortensias m'enchantent.
Bleu, si bleu est le ciel
Des amours enfantines!
Toi la petite fille qui me donnas la main,
Nous avions sept ans,
Nous ne savions pas que notre amour
Était pur.
J'en retiens des éclats,
Qui furent de vrais arc-en-ciel...
Tout était si simple.
Pourtant nous savions
Qu'à peine nées,
Nos amours étaient déjà condamnées.
Ô candeur à jamais enfouie...
• VERT
Comme il est multiple,
Ce vert insaisissable,
Comme il se drape
De toutes les teintes!
Il est des verts tendres
Qui sont de vrais velours.
Leurs tentures sont sublimes
Comme les prairies des montagnes.
Il en est de profonds,
Des verts sombres et noirs,
Qui parcourent les forêts du grand Nord
Comme un rêve immense.
Il est un vert pur et divin,
Celui de l'émeraude!
Si parfait, si grisant,
Il affole le regard qui s'y plonge...
Vert qui m'apaise,
Me séduit et m'étonne,
Ne serais-tu pas un peu retord?
On dit que tu trompes
Les âmes naïves,
Que la peur te prête
Son frisson étrange et maléfique...
Moi, je ne veux voir en toi
Que la fée des sous-bois,
Qui danse parmi les lucioles!
Je veux te reconnaître
Ainsi qu'une vague
Parmi les champs d'orge
Que le vent fait danser!
Je ne veux t'aimer
Que pour ce que tu offres:
Un lit au printemps
Pour les milliers de fleurs éblouies.
• JAUNE
Je n'attendais que toi!
Le soleil que l'on ne peut regarder,
L'étoile qui luit
Dans la nuit merveilleuse
De l'été.
Jaune, tu me sauves!
On ne peut être triste sous tes auspices.
On ne peut pleurer quand tu t'invites.
Car tu es le tournesol
Dans tout son éclat,
La renoncule amoureuse...
Tu es la calendule qui sourit,
La jonquille, première insolente
Des beaux jours...
Même les roses
Empruntent ta couleur,
Lorsqu'elles sont
Lassées d'être rouges!
Tu es la couleur
Dont on rêve au cœur de l'hiver,
Mais qu'au fond
Jamais on n'oublie.
Tu arrives toujours à point
Pour égayer un ciel trop gris,
Pour faire rire
Un jour de pluie.
Jaune! Jaune!
Tu t'exclames!
Fallait-il un jour
Que tu te perdes
Dans la houle des champs de blé,
Quand soudain se lève
Le vent avant l'orage?
• NOIR
Comme la nuit,
Comme l'ombre qui s'installe.
Comme la vie qui se dérobe:
Noir.
Noir comme un mystère,
Une dérobade,
Un effroi.
La nuit douce et poétique,
La nuit-tourmente,
La nuit d'angoisse:
Noir et nuit,
Ensemble se mêlent,
Se gâchent et se confondent.
Noir, tu me tutoies,
Mais t'ai-je confié mes soirs
De peine,
Mes nuits sans sommeil?
T'ai-je appelé à mon chevet,
Quand vient me tourmenter
La solitude?
• BLANC
Ô blanc!
Blanc comme neige,
Rêve infini des plaines.
Blanc comme un repos,
Divin séjour des morts...
La mort est-elle blanche,
Est-elle pâle comme l'ennui?
La mort n'est-elle pas
Une blancheur amie,
Qui nous délivre de ce séjour,
Lassant combat?
Blanc.
• ROSE
Presque rouge
Presque blanc
Presque comme une attente,
Un soupir, un espoir:
Le rose
Sur tes lèvres s'invite.
Je t'aime tant,
Toi le rose qui sait toute chose...
Toi la couleur qui s'annonce
À l'aube de la vie,
Doux parfum du nourrisson.
Nuance tendre de l'enfance,
Comme un nid
Tissé d'amour.
Tu n'es presque pas
D'ici.
Es-tu la couleur
Qui doucement teinte
Les espérances d'un soleil levant?
Le rouge est pour l'amour,
Le rose est d'un autre monde.
Il nous quitte souvent,
On l'appelle de ses vœux,
On voudrait ressusciter sa promesse.
Mais le rose s'est endormi.
La violence n'est que clameurs.
Rose était innocence:
Pourquoi si loin de nous s'est-il enfui?
• VIOLET
Comme s'élevant de la brume,
Comme émergeant d'un lac,
Le violet répand sa grâce...
Les lilas embaument.
Leur parfum un peu lourd,
Et pénétrant,
Me charme.
La grâce des lilas
Mauves et blancs
Fait revivre mes souvenirs.
Un cadeau de mon père à ma mère.
Les lilas de l'amour...
Je me penche, attendri,
Sur ces heures lointaines.
Violet me parle de cette jeunesse
à jamais effacée.
Rien n'existe plus de tout cela.
La nostalgie fait venir à mes yeux
Une larme.
• ORANGE, enfin
Je t'attendais pour finir,
Toi la couleur orange
Qui est la plus vive!
Toi qui distribue
Une joie sans pareille!
Es-tu celle que je préfère?
Oui, j'aime ton éclat,
Ta couleur franche
Ni douce ni dure:
Juste comme il faut de gloire,
Juste belle, et sensuelle!
Orange qui m'appelle
À laisser mes craintes
Et mon ennui.
Orange
Qui m'invite,
À vivre pleinement ma VIE!
Jérémie, le 28 août 2018