samedi 13 février 2016

CHRISTOPHANE,  L'ENFANT 
  AUX  CENT  MILLE  CRISTAUX


    Voici l'histoire d'un tout jeune garçon qui s'appelait Christophane.
Dès qu'il sut parler, Christophane ne prononça qu'un seul mot: "améthyste". Ses parents, intrigués, se demandèrent ce que cela pouvait bien signifier. Le mot "améthyste" revenait sans arrêt sur ses lèvres. Il se mit bientôt à le chantonner, à le chuchoter. Ce mot magique le mettait en joie.
     Ses parents, voyant que leur enfant ne prononçait qu'un seul mot, s'en inquiétèrent. Ils firent appel à un éminent orthophoniste pour lui apprendre les mots que tout petit garçon de son âge doit savoir.
     Christophane se plia de mauvaise grâce. Il apprit tous les mots, mais ne prononça plus jamais le mot: "améthyste". Il finit même par l'oublier. Et tout le monde oublia cette histoire.


     Christophane grandit, comme tous les enfants, mais il y avait en lui comme un trouble, une tristesse inexplicable. Il ne parvenait pas à s'intéresser aux choses de sa vie, il ressentait au fond de lui une profonde nostalgie.
     Quand il eut 12 ans, Christophane fut envoyé pendant les grandes vacances chez un vieil ami de la famille, qui habitait seul à la montagne, à l'autre bout du pays.
Le jeune garçon prit le train, comme un grand, et se retrouva dans un hameau blotti contre les montagnes.
    Athos, un solide octogénaire, vint vers lui et le prit dans ses bras:
-Bienvenue à toi fiston! Ici c'est loin de tout, mais tu verras comme on est bien!
       Christophane se sentit tout de suite en confiance avec cet homme direct et chaleureux. Il aima son visage ridé comme une vieille pomme, ses mains noueuses et son regard doux et étincelant.

    Le lendemain, le ciel était d'un bleu tel que les sommets s'en détachaient comme une dentelle éblouissante.
- Petiot! Que dirais-tu d'une belle promenade? L'air est pur, et tu me parais avoir de bonnes jambes!
-  Oui, allons-y! répondit Christophane, à qui cette nouvelle vie donnait une belle énergie.
    Athos lui avait préparé un grand bol de lait chaud avec deux solides tartines. Il lui semblait que cet homme  amical était déjà un vieux compagnon de route.

    Ils marchèrent longtemps, en silence. Parfois, Athos, qui avait une connaissance profonde de la nature, lui indiquait le nom d'une plante, ou d'un papillon. Les alpages étaient en fleurs. Christophane était transporté par la lumière, la beauté foisonnante des prairies, le paysage sublime des sommets alentours.
    Ils arrivèrent bientôt sur un chemin rocailleux qui suivait la courbe d'une immense falaise. Tout à coup, Athos dit à son protégé: 
- Vois-tu là-bas, cette forme sombre blottie contre la falaise?
- Oui, maintenant je la vois!
- C'est la caverne. C'est là que se trouve la Source aux Ondines. Viens, je t'y emmène!
    Ils s'approchèrent. Christophane sentait son cœur battre la chamade. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais il pressentait que quelque chose d'important allait se produire.
       La caverne était haute et large, la lumière parvenait jusqu'au fond. Athos prit la main du garçon et lui dit d'une voix mystérieuse:
- Écoute! C'est le chant des ondines!

   Christophane entendit comme un murmure, c'était le bruit que fait l'eau quand elle s'écoule joyeusement dans son lit de rochers. Ils remontèrent le cours du ruisselet et observèrent, là, au fond de la caverne, le jaillissement d'une source surplombant un petite cavité naturelle tapissée de cristaux violets extraordinaires. L'eau se jetait dans ce bassin précieux avant de poursuivre sa route.
- C'est tellement joli, Athos!
Comment s'appellent ces pierres violettes qu'on voit dans le bassin?
- Ce sont des améthystes!



    Le mot aussitôt prononcé déclencha en lui une émotion si vive qu'il laissa éclater sa joie. Il se mit à prononcer encore et encore ce mot magique. Mais oui! C'était le mot de sa petite enfance, celui qu'il aimait tant! L'améthyste était donc cette pierre miraculeuse, ce cristal violet qui se trouvait là, sous ses yeux! 
     Christophane raconta à son nouvel ami l'histoire du mot magique, qui se perdit dans sa mémoire.  Athos lui ébouriffa les cheveux en disant simplement:
- eh, ben mon garçon!...

    L'homme, faisant signe à l'enfant de l'imiter, prit un peu d'eau pure et fraîche au creux de ses mains pour la porter à sa bouche. Elle était délicieuse! Le jeune garçon sentit que cette eau était une chose infiniment précieuse.

 Ils restèrent en silence durant un temps que l'on ne peut mesurer, se laissant bercer par le chant de la Source aux Ondines.
    Tous deux firent le trajet du retour dans un profond silence. La nature était au comble de sa beauté.  Christophane  se sentait libre comme un oiseau dans le ciel.

    L'amitié entre le vieil homme et l'enfant était scellée. Elle ne fit que croître au fil des années.
    Christophane attendait les grandes vacances avec une joie secrète. Il retrouvait Athos pour partager des moments simples. Ils firent de longues randonnées, où le vieil homme lui enseigna l'art des plantes, des pierres, et tous le secrets que connaît un vieux sage sur la vie. 
       Christophane était devenu son enfant aux cent mille cristaux. 

       Mais un jour de novembre, à la veille de ses vingt ans, on annonça à Christophane qu'Athos, le vieil homme si cher à son cœur, était parti rejoindre l'ultime source.
      Il s'était éteint doucement dans son sommeil.


Sa douleur fut telle qu'elle lui coupa le souffle.
   Il voulut lui dire adieu, là-bas, au pays de leur rencontre, de tous ces étés qui défilèrent trop vite.
       Il prit le train à nouveau, pour retrouver une dernière fois le hameau au pied des alpages, cet éden qui lui donnait le goût de vivre, ce coin d'enfance où il avait appris l'essentiel de la vie. 
       Tout lui revenait, les randonnées, les éboulis, les fleurs par milliers, la main noueuse d'Athos, ses yeux clairs qui bien souvent s'embuaient de larmes, ses cheveux blancs comme la neige, ses paroles rares, pleines de sens.
       L'homme que Christophane était devenu pleurait tout ce qui avait fait sa vie, cette amitié bouleversante, que personne ne pourra comprendre. Car comment expliquer que peu de choses font un tout immense?

     L'enterrement fut simple. Comme le vieil homme l'avait toujours été.
Une femme âgée s'approcha de Christophane et lui tendit une lettre:
- Tenez, jeune homme, ça vient d'Athos. Il savait qu'il allait partir. Il m'a confié ceci pour vous.

    Christophane prit la lettre d'une main tremblante. Il se dirigea vers les sommets. Il voulut se rendre à la Source aux Ondines, une dernière fois. 
     L'automne n'en finissait pas d'être sublime. Au fur et à mesure que Christophane gravissait le chemin, le manque de son plus cher ami se faisait sentir en lui, comme une douleur poignante. Il aurait voulu crier, mais sa gorge était sèche. 
  Il arriva enfin à la caverne.

  Il s'assis devant la source, les améthystes étaient si belles!
  Il déplia la lettre tandis que ses yeux se brouillaient de larmes. L'écriture était régulière, mais un peu tremblante. On y lisait les mots suivants:

    Mon petiot,

Je vais bientôt m'en aller. Je le sais. 
Je le sens.
Je vais partir au moment où j'aime le plus la vie. Cette coquine! Elle n'a  pourtant pas toujours été tendre avec moi.
Mais tu es venu dans ma vie.
Mon jeune ami, tu as été mon soleil, ma paix. Tu vas être malheureux, ça me fait mal. 
Mais ton cœur de cristal, garde-le bien!
Les vieux amis, ça se dit plus rien, mais ça s'aime comme les roses.
C'est la vie. 
Alors je te dis je t'aime. Je ne te l'ai jamais dit, je crois. Mais j'ai tout fait pour que tu le sentes, dans ton cœur.
C'est bête, mais ça me fait pleurer...
Tu es mon ange, et je suis le  tien, pour toujours.

Athos 

   Christophane se sentit alors seul comme dans un désert, mais rempli des plus belles choses de la Terre. 
      Il lava son visage avec un peu d'eau, et pria même un peu. Le temps s'était arrêté. Il replia la lettre.

   Il sorti de la grotte, et confia son chagrin aux Lys des champs qui s'ourlaient d'or dans le soleil du soir. Lorsqu'il regagna le hameau, la nuit venait de tomber.



Jérémie, le 7 février 2016

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