lundi 23 octobre 2017

Jean Ferrat


JEAN  FERRAT

  


UNE  VOIX  QU'ON  N'OUBLIE  PAS



  


    Jean Ferrat, c'est d'abord une voix. Semblable à aucune autre. Immédiatement reconnaissable.

    Sa voix est pleine et harmonieuse, mais avec un grain qui la rend expressive, proche de la fêlure, elle porte cette fêlure, qui n'est perçue qu'en filigrane. Et cela la rend émouvante.

    Elle parle directement à notre cœur.



    Le chanteur a une manière de tenir les notes longuement, en les faisant vibrer vers la fin, comme une résolution à la tension créée. Comme le ferait un violoniste ou un violoncelliste.
    Ce talent musical demande une grande maîtrise de la technique vocale. Ferrat le réalise de manière complètement naturelle.
   Son vibrato me provoque un vif plaisir. C'est un aspect important de la beauté de sa voix.



    Dans la biographie de Jean Ferrat: "UNE VIE", écrite par Jean-Dominique Brierre, la voix de l'artiste est décrite de cette manière:

    "Il y a dans la voix de Ferrat un arrière-plan, un non-dit. C'est une voix qui pourrait être celle d'un chanteur de charme, mais avec quelque chose en plus.

    C'est cela le style Ferrat: sa définition vocale et son type d'écriture. Et ça, c'était là dès le début.



    En tant que compositeur, Ferrat a une qualité essentielle pour les chansons: on a l'impression d'avoir entendu cela toute sa vie, mais en fait on n'a l'a entendu nulle part avant."

    Mais la voix d'un chanteur, si elle est peut-être ce qui semble le plus important, ce qui nous touche le plus, n'est pas la seule composante qui fait de l'artiste ce qu'il est.



   
    Dans le cas de Ferrat,  l'engagement politique, joue un grand rôle. Même s'il a toujours refusé d'être réduit à une fonction, une position ou un groupe quel qu'il soit.

    Ferrat était proche du parti communiste. Mais il ne s'inscrira jamais au parti, restant un observateur et "compagnon de route".

    Pour bien comprendre le combat de Ferrat, il faut se rappeler un événement dramatique, vécu à l'âge de 12ans: son père, qui était juif, fut enlevé et déporté.
    Il était parti se promener, il ne revint jamais. Enlevé par la police et livré aux Allemands.
      Il fut assassiné à Auschwitz en 1942.
 Sa mort fut confirmée à sa famille bien après la guerre.



   Cette disparition, cette absence, font que le jeune Jean Tenenbaum, tel était alors son nom, fut arraché à l'enfance. Comment ne pas être marqué par un événement qui devait plonger Jean et sa famille dans des années d'épreuves et de terreur!

   Jean Tenenbaum, devenu Ferrat, va évoquer l'horreur de la déportation bien plus tard, alors que sa renommée grandissait, dans une chanson concise qui restera l'un de ses plus grands chef-d'œuvre: "Nuit et  Brouillard."
    À la parution de la chanson, au début des années 60, l'Allemagne et la France se rapprochent dans un mouvement de réconciliation porté par  De Gaulle et Adenauer.

    Évoquer la Shoah comme le fait "Nuit et Brouillard", est très malvenu.

  



      Il faut dire que depuis la fin de la guerre, tous ces événements avaient été peu évoqués, le silence régnait sur les horreurs vécues, l'époque n'était pas encore aux souvenirs et aux commémorations. Chacun portait son fardeau en silence.



    Mais la musique et les paroles de "Nuit et Brouillard" touchent des millions de Français. Ferrat reçoit un courrier considérable de gens qui ont été traumatisés par ces horreurs impensables, la disparition de

 leurs proches, chagrin, désespoir dont on ne se remet jamais.

    Commence alors pour Ferrat une mise à l'écart des ondes, radio ou télévision, qui se reproduira plusieurs fois dans sa carrière.


 Il dérange.

 Il lui a fallu du courage pour oser ouvrir la boîte de Pandore.

  



   Ferrat n'a que faire de la censure déguisée, de l'ostracisme des élites bien-pensantes.
   Il tracera sa route.


  





Chez l'homme Ferrat, derrière le personnage critique, ironique, acerbe, il y a quelqu'un d'autre.

   Un poète. Un poète amoureux.



    C'est le Ferrat qui m'intéresse le plus. Un chanteur-compositeur qui a mis en musique quelques-uns des plus beaux mots d'amour de la langue française.



   Je veux parler des poèmes de Louis Aragon.
    Ceux qu'il écrivit pour sa compagne, sa muse, son inspiratrice: Elsa Triolet.

    Ces poèmes ont en eux un rythme, un sens du phrasé que Ferrat respectera et sublimera en les mettant en musique.
     Les mélodies composées par Jean Ferrat sont parmi les plus belles que je connaisse. Il possède un véritable art de la  mélodie, qu'il gratifie d'harmonies souvent somptueuses.
     C'est un compositeur de talent.

  


    Aragon chanté par Ferrat, c'est un mariage parfait de la rime et du chant, où la poésie sert la musique, et la musique sert la poésie.

    Je trouve que c'est là que le chanteur est à son apogée. 
    La voix ample et lumineuse célébrant l'amour: c'est le Ferrat que je préfère.

    Deux chefs-d'oeuvre me touchent particulièrement:

    Aimer à perdre la raison

  

   Que serais-je sans toi.

  

   Ces deux chansons, jamais je ne me lasse de les écouter. Comment ne pas ressentir tout ce qu'est l'amour en s'imprégnant de ces vers: la passion, le manque et l'absence, la joie, la rédemption, l'excès, la douleur d'aimer, le regard qui adore, qui encense, le trouble, le désir, toutes ces choses qui nous font mal, mais qui nous portent aussi à l'extase.


    Celui qui a aimé une fois dans sa vie, reconnaît la force de ces paroles, leur joie et leur vérité...

  


       Mais la chanson de Jean Ferrat la plus aimée, celle qui est universellement connue des Français, c'est bien sûr "La Montagne".

     Pourquoi cette chanson nous est-elle devenue si chère, presque comme un hymne?

    Est-ce l'atmosphère délicatement évoquée, l'automne, la beauté célébrée?

   Est-ce l'allusion à l'exode rural de l'époque, dépeint en quelques mots: quitter la compagne pour vivre dans des HLM et manger "du poulet aux hormones"?

   Est-ce le fait de décrire avec un rien de nostalgie une France qui disparaît, et ne sera bientôt plus la même?



    La musique doucement ensoleillée nous amène une grâce, une mélancolie...

    Ferrat chante son Ardèche adoptive.



    L'homme  nous aura accompagné au long des années, devenant cher à notre cœur, un peu comme un ami que l'on connaît et estime depuis si longtemps.

   Lorsque qu'il nous quitte,
 en ce samedi 13 mars 2010, la France entière pleure...
   Il avait 79 ans.



    "Dès l'annonce de la nouvelle, dans l'après-midi, des Français de tous âges, de toutes conditions, ont tenu à exprimer leur tristesse publiquement, à la radio ou sur Internet.
     "Nous avons été submergés d'appels de gens en pleurs, confie un animateur de France Bleu. Nous n'avions jamais vu une telle émotion."

    Réaction étonnante suscitée par un chanteur qui n'était plus monté sur une scène depuis mai 1973 et dont le dernier disque remonte à près de quinze ans. Pourtant, sans aucune publicité, Ferrat avait continué à vendre 100 000 albums chaque année.
 Preuve qu'on ne l'avait pas oublié, lui et surtout ses chansons."



         Jean Ferrat   UNE VIE
          
   Jean-Dominique Brierre
          
       LE CLUB

  

     Pourquoi aimions-nous tant Jean Ferrat?

    Peut-être parce qu'il était comme beaucoup d'entre nous. Contradictoire, idéaliste, excessif.
    Un peu trop amoureux.
    Un peu trop fragile.



    Un homme comme les autres, qui ne s'est jamais éloigné de sa vérité, qui avait ses coups de gueule, mais le cœur sur la main.
    Il a perdu beaucoup d'illusions, mais croyait en un avenir meilleur.

      Un homme vrai.

    Un homme qui aimait la vie.

  


 Jérémie, le 21 octobre 2017






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